Rétablir le droit des citoyens à s’informer

Alors que le tri des biodéchets est obligatoire depuis le 1er janvier 2024 et que la France s’est fixée comme objectif d’atteindre 10% de biométhane dans la consommation nationale de gaz en 2030, les projets de méthanisation peinent encore à se développer. C’est notamment le cas dans le département des Bouches-du-Rhône, qui ne dispose aujourd’hui d’aucune unité de méthanisation territoriale malgré un fort potentiel identifié et où le développement de ces projets peut être freiné par l’opposition de collectifs fermés à tout dialogue.

C’est le constat que dresse Arnaud Bossis sur Gomet’​ Media, où il explore dans une tribune les pistes d’amélioration à actionner : rétablir un dialogue respectueux et démocratique et permettre aux citoyens de bénéficier d’une information impartiale. Un changement de méthode indispensable pour améliorer la gestion des biodéchets, permettre aux agriculteurs de disposer de revenus additionnels et d’un engrais organique et de fournir aux entreprises un gaz renouvelable.

La méthanisation progresse, partout en France. Elle fait partie des solutions de collecte et valorisation des biodéchets et permet aux collectivités de remplir leurs obligations en la matière. Mais de nombreux projets de méthanisation se trouvent aujourd’hui à l’arrêt, voire abandonnés, du fait de l’opposition systématique de collectifs fermés à tout dialogue. A l’heure où plusieurs projets de méthanisation se trouvent à l’étude dans les Bouches-du-Rhône, il devient essentiel de rétablir un dialogue respectueux et démocratique autour de ces projets.

Les citoyens doivent pouvoir bénéficier d’une information impartiale et décider par eux-mêmes de ce qui leur semble souhaitable pour leur territoire.

Quand pourrons-nous réellement valoriser nos biodéchets ? Selon la loi (1), depuis le 1er janvier dernier. Mais dans la réalité… impossible de donner une date, puisqu’aujourd’hui seule 25% de la population française (2) dispose d’une solution, proposée par sa collectivité locale, pour trier à la source ses déchets organiques, alimentaires et végétaux. Pourquoi les collectivités respectent-elles aussi peu cette obligation ? De premier abord, on pourrait penser que cela s’explique par l’existence de freins financiers : le surcoût possible par an et par habitant, peut-être compris entre 8 et 15 € (3).

Cela est vrai pour la majeure partie de nos territoires. Mais pas toujours. Dans les Bouches-du-Rhône par exemple, c’est l’inverse, la méthanisation représente une solution plus économe pour le contribuable. Ce possible frein financier n’explique pas tout : dans certaines collectivités, pourtant prêtes à mettre en place des solutions, les réticences viennent plutôt des riverains. Notamment, lorsque la solution de tri proposée est la méthanisation. Ce mode de valorisation des biodéchets consiste à les traiter au sein d’unités de proximité pour produire du gaz renouvelable, lequel est ensuite réinjecté dans les réseaux de gaz locaux.

Même si la méthanisation progresse partout en France, et même si elle apporte des revenus aux territoires concernés, cette technologie continue de susciter des craintes. Pourtant, lorsqu’une entreprise prévoit de développer un projet de ce type, elle organise, très en amont, des réunions de concertation avec les parties prenantes concernées : élus des communes à proximité du site, associations de riverains, d’agriculteurs et entreprises locales.

Des collectifs d’opposants fermés à tout dialogue

Mais de plus en plus fréquemment, des collectifs d’opposants se forment, avant même la tenue de ces premières réunions et militent pour l’abandon du projet. Sans concertation, sans écouter les arguments des parties en présence, ces collectifs répètent à longueur de pages Facebook et de tracts dans les boîtes aux lettres les mêmes arguments, sans preuves ni éléments tangibles. La méthanisation est présentée comme dangereuse, malodorante, nocive pour les sols et pour tout l’écosystème environnant. Sans compter un corollaire plus immédiat : les prix de l’immobilier chuteraient dans les zones situées autour des unités de production (4).

Pour tenter d’établir un dialogue, les entreprises invitent en général les représentants de ces collectifs à venir visiter d’autres sites de méthanisation déjà en fonctionnement, pour constater la faiblesse de leurs nuisances. Peine perdue : ces collectifs refusent le plus souvent de se rendre sur le terrain, tout comme ils restent sourds aux arguments en faveur de la méthanisation – revenu additionnel pour les agriculteurs, production d’un engrais naturel permettant de régénérer les sols, étude montrant la stabilité des prix de l’immobilier avant et après l’implantation d’une unité… sans même discuter du bien-fondé de ces arguments, beaucoup ferment la porte à toute forme de dialogue.

Dans 30% des cas, cette opposition de principe finit par faire céder les élus : pour préserver leur intégrité, parfois physique, certains préfèrent abandonner le projet de méthanisation. Tant pis pour le tri et la valorisation des biodéchets, tant pis pour la loi, mais aussi pour les agriculteurs, qui auraient pu valoriser leurs déchets, bénéficier d’un engrais organique local et améliorer leurs revenus. Et pour les entreprises, qui doivent, selon la loi toujours, utiliser du gaz renouvelable. Et qui devront, si elles n’en trouvent pas, délocaliser leur activité hors de France, dans un pays moins regardant sur l’origine de l’énergie qu’elles consomment.

Les Bouches-du-Rhône : un fort potentiel identifié

Dans les Bouches-du-Rhône, il n’existe à ce jour aucune unité de méthanisation territoriale, c’est-à-dire valorisant les biodéchets des collectivités locales, des industries agro-alimentaires et des agriculteurs. Pourtant, il existe un potentiel estimé : 41 000 tonnes de déchets de restes alimentaires pourraient être valorisés dans la région (5) grâce à la méthanisation. Pour faire aboutir un projet d’unité de méthanisation sur ce territoire, sans qu’il soit question de l’imposer à quiconque, un dialogue apaisé, respectueux, s’impose. Pour que chacun entende les arguments des autres, et puisse prendre sa décision de manière éclairée. Personne ne prétend, évidemment, qu’aucune des 1 500 unités de méthanisation en fonctionnement aujourd’hui en France ne rencontre jamais le moindre problème. En matière de méthanisation comme partout, le « risque zéro » n’existe pas. Mais lorsque des incidents surviennent, des solutions éprouvées existent, et sont mises en œuvre efficacement. Ces éléments aussi doivent faire partie du dialogue entre parties prenantes, pour ne pas laisser s’installer l’idée d’un danger non maîtrisé, planant sur des riverains sacrifiés à des intérêts industriels ou gouvernementaux.

En 2030, le biométhane devra peser 10 % de la consommation nationale de gaz, contribuant à réduire la dépendance de la France aux énergies fossiles, soit 4 fois plus que la production à la fin 2023. Cela suppose que la méthanisation continue à progresser, là où cela s’avère possible, souhaitable et accepté par tous. Une seule condition pour cela : que chacun puisse s’exprimer, que l’information circule librement. Imposer des unités de méthanisation à des populations qui les refusent serait anti-démocratique et n’est en aucun cas prévu. Mais empêcher le dialogue, en exerçant une pression intenable sur les élus locaux, n’a rien de démocratique non plus. Les citoyens doivent pouvoir accéder à l’information qui les concerne, et ne pas laisser de collectifs auto-proclamés décider à leur place.

Par Arnaud Bossis,
directeur général de CVE Biogaz

Sources :

(1) Loi Agec, février 2020
(2) Source Ademe octobre 2023
(3) Estimation Ademe octobre 2023
(4) Étude réalisée en 2020 par Quelia, Artelia et Segat
(5) Etude Rex Ademe et Ecovalim